mai 16 2023 | Climat : les scientifiques et les ONG s’invitent à l’Assemblée générale de BNP Paribas
Après avoir largement alerté sur les risques liés aux soutiens de BNP Paribas au développement des énergies fossiles, des représentants de la communauté scientifique, le collectif Scientifiques en rébellion et les associations de L’Affaire BNP ont demandé des comptes au Conseil d’administration de la banque, réuni pour son Assemblée générale annuelle ce matin à Paris. Face au manque d’ambition climatique de BNP, des scientifiques dont 10 co-auteurs du GIEC (1) ont en effet remis en question la stratégie climatique de la banque, l’appelant à renoncer à alimenter les nouveaux projets pétroliers et gaziers. En réponse, le CA de BNP n’a pas fait de nouvelles annonces et poursuit son déni de la science ; les actionnaires, eux, ont accueilli les questions des scientifiques et activistes avec des huées et des insultes.
Le 23 février dernier, les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France assignaient BNP Paribas en justice pour non-respect de son devoir de vigilance climatique (2). Le lendemain, 600 scientifiques publiaient une lettre ouverte au Conseil d’administration de la banque, lui demandant de cesser urgemment de soutenir financièrement, directement ou indirectement, les nouveaux projets pétroliers et gaziers (3).
Face aux alertes qui se sont multipliées au cours des derniers mois, concernant les pratiques de BNP Paribas, la banque a annoncé fin janvier de nouveaux engagements qui restent largement insuffisants (4). En témoignent ses nouveaux financements significatifs accordés en février 2023 à deux entreprises parmi les plus agressives dans le développement de projets fossiles : la major britannique BP et le géant saoudien Saudi Aramco (5). Si BNP Paribas a précisé ses engagements en communiquant jeudi dernier sur la fin de ses financements dédiés aux nouveaux champs pétroliers ou gaziers, le soutien financier aux entreprises qui portent ces projets et donc le développement de nouveaux projets fossiles peut hélas perdurer (6).
« Les annonces récentes et les réponses du PDG de BNP ce matin sont insuffisantes pour répondre aux exigences scientifiques élémentaires. Est-ce que la banque demande à ses entreprises clientes de cesser de développer de nouveaux projets de pétrole et gaz ? Non. Est-ce qu'elle demande aux entreprises d'avoir un plan de sortie progressif en dehors du pétrole et gaz d'ici 2040-50 au plus tard ? Non. » déclare Justine Ripoll, responsable de campagnes pour Notre Affaire à Tous.
BNP est un poids lourd dans le financement de nouvelles bombes climatiques : comme l’a récemment révélé un rapport international publié par 624 organisations (7), BNP Paribas a même augmenté ses financements aux énergies fossiles l’année dernière, et est désormais le quatrième financeur mondial du développement des énergies fossiles avec 64,2 milliards de dollars de financements depuis 2016.
BNP Paribas est le premier financeur mondial des 9 grandes majors pétro-gazières européennes et américaines depuis 2016, et le deuxième plus gros financeur de Total (7). « Sa connivence avec Total, qui défendra encore une stratégie délétère autant pour le climat que pour les droits humains la semaine prochaine à l’occasion de sa propre assemblée générale, ne s’arrête pas là. Jean Lemierre qui s’est aujourd’hui fait réélire président de BNP continue dans le même temps de siéger au Conseil d’administration du géant des énergies fossiles », poursuit Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la Terre France.
C’est pourquoi plusieurs scientifiques ont décidé cette année de s’inviter à l’Assemblée générale de la banque afin de questionner et interpeller directement son Conseil d’administration. Olivier Aumont, chercheur en océanographie et membre du collectif Scientifiques en rébellion, explique : « Alors que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme depuis des décennies, BNP Paribas, qui se prétend une banque verte, n’a même pas pris la peine de répondre à notre lettre ouverte signée par 600 scientifiques. Pour tenter de faire entendre le consensus scientifique concernant la catastrophe climatique en cours, nous avons dû acheter des actions de BNP Paribas pour intervenir lors de son Assemblée générale, quelques jours après que des collègues scientifiques ont mené des actions de désobéissance civile contre cette banque (8). Que faut-il faire de plus ? ».
Plusieurs questions ont été posées à l’écrit (1) et à l’oral au nom des 600 scientifiques ayant signé la lettre ouverte (2), dont dix co-auteurs de rapports du GIEC — parmi lesquels Jean Jouzel, Christophe Cassou ou Céline Guivarch. Leurs auteurs ont rappelé le consensus scientifique univoque et reconnu par l’Agence internationale de l’énergie sur la nécessité de cesser tout investissement dans de nouvelles ressources d’énergies fossiles. Ils ont appelé BNP Paribas à prendre acte de cette réalité physique en s’engageant dès ce jour à ne plus soutenir directement et indirectement de nouveaux projets de pétrole et de gaz.
Des représentants de communautés victimes en Argentine et aux Philippines de projets pétroliers et gaziers soutenus par BNP Paribas étaient également présentes à l’Assemblée générale. Ces communautés ont mis la direction de la banque face à ses responsabilités concernant les violations des droits humains et les ravages environnementaux causés par les investissements de clients clés de BNP Paribas comme Shell et Total (9).
Alexandre Poidatz, responsable de plaidoyer chez Oxfam France, conclut : “La désobéissance est du côté des actionnaires de BNP cette année. Ils n’ont pas laissé les scientifiques poser leurs questions. Ils ont même hué et insulté (« go back home »,« cállate ») les activistes venus témoigner de l’impact dramatique des projets pétro-gaziers sur leurs territoires »
Notes:
(1) Une série de questions a été rédigée et soumise au Conseil d’administration de BNP Paribas par des membres de Scientifiques en rébellion et plusieurs co-auteurs de rapports du GIEC : Christophe Cassou (climatologue, co-auteur du 6e rapport du GIEC), Jean-Pierre Gattuso (océanographe, co-auteur du 5e rapport et de deux rapports spéciaux du GIEC), Céline Guivarch (économiste, co-autrice du 6e rapport du GIEC), Jean Jouzel (climatologue, ex-vice-président du groupe scientifique du GIEC), Wolfgang Cramer (écologue, co-auteur du 6e rapport GIEC), Jean-Baptiste Sallée (climatologue, co-auteur du 6e rapport GIEC), Julia Steinberger (économiste, co-autrice du 6e rapport GIEC), Gonéri Le Cozannet (géographe, co-auteur du 6e rapport GIEC).
Elles sont portées au nom des 600 scientifiques ayant signé la lettre ouverte du 24 février 2023.
Les questions posées par les scientifiques sont disponibles sur le Club de Mediapart. Les questions des associations de « L’Affaire BNP » sont disponibles en ligne, ainsi que les réponses de BNP Paribas.
(2) Communiqué de presse et dossier de presse de l’assignation de BNP Paribas par les trois associations (février 2023).
(3) Lettre ouverte de 600 scientifiques adressée au Conseil d’administration de BNP Paribas (février 2023).
(4) Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France (janvier 2023). L’Affaire BNP : Menacée d’une action en justice, BNP Paribas communique mais ne répond pas aux demandes des ONG.
(5) L’ONG Reclaim Finance a identifié ces deux transactions. BNP Paribas a aidé BP à émettre une obligation d’une valeur de 2,5 milliards de dollars le 9 février. Cette transaction a eu lieu alors la major a récemment revu à la baisse sur ses objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre et de sa production de pétrole et gaz. BNP également participé à l’émission d’un ensemble d’obligations d’une valeur totale de 4,5 milliards de dollars le 23 février pour Saudi Aramco, l’entreprise développant le plus de nouveaux projets pétro-gaziers au monde.
(6) Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France (mai 2023). Climat : BNP fait un petit pas mais ne répond toujours pas au consensus scientifique.
(7) Données issues du rapport annuel et international « Banking On Climate Chaos » (avril 2023).
(8) Scientifiques en rébellion (mai 2023). Les scientifiques en rébellion dénoncent le financement de nouveaux projets d’énergie fossile par BNP Paribas. Des dizaines d’actions dans toute la France.
(9) Étaient présents : Edwin Garigue, prêtre catholique et un militant écologiste philippin qui est actuellement au cœur du mouvement de résistance contre les plans d’expansion massive du GNL dans le passage de l’île Verde ; Fernando Barraza, représentant de la communauté Mapuche de Neuquén en Argentine qui lutte contre l’accélération de l’exploitation des pétrole et gaz de schiste dans le bassin de Vaca Muerta. En savoir plus dans le dossier de presse de Reclaim Finance.
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