juin 06 2025 | Cour des Comptes - Le soutien au développement de l'hydrogène décarboné
La production et l’utilisation d’hydrogène décarboné apparaissent comme un levier mobilisable au niveau français, européen et mondial pour atteindre les objectifs de décarbonation de l’économie, et en particulier de l’industrie. C’est dans ce cadre que la France a élaboré une stratégie dédiée au développement de l’hydrogène décarboné, s’inscrivant elle-même dans le cadre plus large de la stratégie nationale bas carbone et de la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Le présent rapport vise à établir un premier bilan du soutien au développement de l’hydrogène décarboné et questionne le réalisme des ambitions portées par ces différentes stratégies. Il décrit l’intérêt et les principaux enjeux qu’emporte le déploiement de capacités de production et d’usages d’hydrogène décarboné en France tel que prévu par les stratégies mises en œuvre depuis 2018, avant d’en analyser plus précisément les multiples dispositifs d’accompagnement et de décliner les conséquences financières des trajectoires programmées.
Des stratégies nationales hydrogène ambitieuses mais irréalistes
En France, l’hydrogène est aujourd’hui produit et consommé quasi exclusivement par l’industrie (environ 1 Mt/an), principalement pour le raffinage et la production d’ammoniac. Cette production, essentiellement réalisée par vaporeformage du méthane, est fortement émettrice de CO? (plus de 10 Mt/an). La décarbonation de la production d’hydrogène permettrait de concourir directement à la décarbonation de l’industrie mais pourrait également susciter de nouveaux usages, notamment dans les mobilités. Deux voies principales permettent une telle production : le captage-stockage du carbone issu du vaporeformage, qui conserve la dépendance aux énergies fossiles, ou l’électrolyse de l’eau, nécessitant de lourds investissements et présentant un faible rendement énergétique (65 % au mieux en 2024).
C’est cette seconde option qui est largement soutenue par la puissance publique. Pour sa seconde stratégie nationale hydrogène, publiée en avril 2025 (SNH 2), l’État fixe comme objectif l’installation de 4,5 GW de capacités de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau d’ici 2030 et 8 GW d’ici 2035. La première SNH, publiée en 2020, prévoyait initialement des objectifs plus ambitieux : 6,5 GW en 2030 et 10 GW en 2035. Dans un contexte d’une lente mise en service des premières capacités de production, ces nouveaux objectifs paraissent encore hors de portée. La Cour estime que seuls 0,5 GW sont pleinement sécurisés d’ici 2030 ; sous des hypothèses très optimistes, ces capacités pourraient être portées à 3,1 GW d’ici là, toujours en deçà des 4,5 GW prévus dans la SNH2. Enfin, le projet de stratégie nationale bas carbone (SNBC), présenté en novembre 2024, fonde ses trajectoires sur un recours massif à l’hydrogène décarboné à moyen et long terme : 1 Mt H2/an en 2035 et 4,4 Mt H2/an d’ici 2050.
La fixation d’objectifs aussi ambitieux se démarque des perspectives fixées par différentes institutions indépendantes (AIE, CEA, Cour des comptes européenne, etc.) qui ont dernièrement révisé à la baisse leurs projections de consommation d’hydrogène décarboné. Or ces hypothèses très optimistes fragilisent la crédibilité de la stratégie française de décarbonation de l’économie. La Cour estime dès lors nécessaire de fonder ces stratégies sur des trajectoires réalistes en matière d’hydrogène décarboné.
Un soutien public encore peu mobilisé, non ciblé et sous-estimé
L’action publique en faveur de l’hydrogène, structurée autour de la SNH, subventionne l’ensemble de la chaine de valeur de l’hydrogène pour un montant total annoncé de 9 Md€ : 2 Md€ sont prévus pour la R&D, 1,5 Md€ pour l’industrialisation, 1,4 Md€ pour la mise en service d’électrolyseurs et au moins 4 Md€ pour la production d’hydrogène et ses usages. Ce soutien néglige toutefois une partie des dispositifs bénéficiant à la filière : il s’agit en particulier de la compensation carbone, de l’exonération d’accises sur les prix de l’électricité et du taux réduit de tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE).
La prise en compte de ces dispositifs ainsi que la réévaluation d’autres conduisent la Cour à estimer que le soutien public global pourrait être compris entre 9,5 Md€ et 13,0 Md€. Le faible niveau de dépenses effectivement décaissées (0,9 Md€ entre 2020 et 2024) s’explique pour partie par des délais inhérents aux projets industriels et pour partie par la publication tardive – seulement en décembre 2024 – du premier appel d’offres pour soutenir la production d’hydrogène décarboné, alors que ce mécanisme était annoncé dès 2020. En dépit d’un changement de doctrine sur le recours à l’hydrogène dans le transport routier, une part importante des financements publics de la SNH a déjà été accordée au secteur du transport routier : près de la moitié (46 %) des dépenses effectivement engagées est destinée à ce secteur.
Il s’agit pourtant d’un usage pour lequel l’hydrogène est désormais considéré comme une solution de second rang, derrière le recours aux batteries. A long terme, sans amélioration massive de la compétitivité de l’électrolyse, l’atteinte des objectifs sous-jacents au projet de SNBC pourrait supposer un soutien public difficilement envisageable. La production d’hydrogène électrolytique induirait en effet des surcoûts par rapport aux vaporeformeurs qui s’établiraient entre 1,5 Md€/an et 4,1 Md€/an entre 2031 et 2035 et entre 5,5 Md€/an et 11,0 Md€/an entre 2041 et 2045. Ces perspectives financières renforcent la recommandation de la Cour de revoir les trajectoires de production et de consommation afin de la fonder sur des hypothèses crédibles et soutenables.
Source : Communiqué Cour des Comptes
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