janv. 19 2024 | Discours de Bruno Le Maire au Conseil national de la Transition écologique, vendredi 19 janvier 2024
C’est la première fois qu’on a cette réunion ensemble depuis que le nouveau Gouvernement est nommé et depuis le projet de loi Industrie Verte, mais je pense qu’elle est très importante parce que j’ai entendu un certain nombre d’inquiétudes à la suite de ma nomination comme ministre de l'Énergie, des questions, et que je veux y répondre dès ce matin pour qu'on mette ça derrière nous et que nous puissions avancer le plus rapidement possible avec comme seul objectif le climat. Donc, évitons les débats un peu oiseux sur les questions de périmètre sur Bercy, qui serait une espèce de forteresse hostile à la transition climatique, alors que c'est quand même Bercy qui finance la transition climatique et qui s'est engagé totalement pour la transition climatique. Clarifions les choses pour pouvoir avancer au service du climat, c'est mon seul objectif. Et croyez-moi, ma détermination à accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à me battre pour la sobriété, pour l'efficacité énergétique, pour la biodiversité, elle est totale. J'ai, je dirais, la foi des convertis. C'est en général celle qui soulève des montagnes. Je ne vais pas vous dire que je suis un environnementaliste déchaîné depuis le premier jour de ma vie politique, ce n'est pas le cas. Mais en revanche, ma conscience climatique, la nécessité d'accélérer et de changer radicalement nos modes de production, elle est venue progressivement et solidement, nourrie par des rencontres avec vous, par des discussions avec mes enfants ou des amis de mes enfants, par des discussions partout sur le territoire. Donc, je veux le redire, ne laissez aucune place aux doutes là-dessus. Je suis un ministre de l'Économie et des Finances résolument engagé pour la transition climatique. Et je ne veux laisser aucune ambiguïté sur ce sujet.
Ensuite, quel est mon objectif ? Notre objectif commun, c'est évidemment de tenir les objectifs européens qui ont été fixés : réduire de 50 % nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 et la neutralité carbone en 2050. C'est un défi considérable, mais moi, j'aime bien les défis. Donc, j'y vois un défi politique, un défi humain, un défi scientifique, un défi financier considérable et on va le relever tous ensemble. S'il y a bien un domaine dans lequel il faut avancer de manière collective, c'est le domaine du climat. Ensuite, comme je suis ministre de l'Économie, j'y vois aussi un autre défi, c'est celui de faire de la France la première nation décarbonée en Europe. Et dans le fond, inventer un modèle économique qui peut servir de modèle pour le reste du monde. On peut à la fois être une grande puissance économique et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. On peut découpler. Et nous apportons la preuve que nous pouvons découpler, et c'est formidable comme modèle pour le reste du monde.
Et là aussi, je le redis, comme ministre de l’Économie et des Finances, c'est fantastique d'avoir ce défi. Pour moi, c'est le grand défi.
Personne n'oublie que je dois aussi rétablir les comptes publics et croyez-moi, j'ai peur que ce soit un défi qui enthousiasme moins les foules. Donc un défi comme celui-là, c'est un défi qui doit enthousiasmer des foules, mobiliser tout le monde, quelle que soit son appartenance politique et qui doit surtout, j'y reviendrai tout à l'heure, prêter à la discussion. Il n'y a pas de vérité révélée en la matière. Il y a besoin de revenir à la science, à la raison, aux évaluations scientifiques, aux débats scientifiques pour trouver les meilleures options.
À partir de là, pour moi, il y a trois sujets qui sont évidemment intimement liés. Il y a le sujet industriel, il y a un sujet financier, il y a évidemment un sujet de planification.
Le sujet industriel, il est à la fois national et européen. Il se résume en un défi : comment est-ce que nous passons la part de l'électricité décarbonée de notre mix énergétique de 27 à 55 % d'ici 2050 ? Je veux juste que chacun prenne la mesure de ce que ça veut dire. Depuis le début des années 60, jamais la France ne s'est lancée dans un programme industriel de cette ampleur, jamais. C'est le défi humain, de formation, de qualification technologique, de génie civil, d'ingénierie comme la France n'en a pas connu depuis un demi-siècle. Donc là aussi, évitons les débats oiseux sur les périmètres des ministres, qui n’intéresse personne, pour se concentrer sur l’essentiel : comment est-ce qu'on arrive à relever ce défi de la part d’électricité décarbonée dans notre mix pour qu'on quitte ce mix dans lequel 60 % est encore composé d'énergies fossiles. C'est quand même ça le défi qui me donne parfois le vertige, je ne vous cache pas. C’est que quand je regarde et que je vais à Gravelines, j’y étais il y a deux jours, et que je regarde le chantier de la réalisation des deux nouvelles tranches EPR2, les questions qu’on se pose, c’est : est-ce qu'on va savoir faire ? Est-ce qu'on va encore savoir faire ? On savait faire dans les années 70 et 80, est-ce que 40 ans plus tard, on va encore savoir faire ? Ça, c'est un véritable défi. Donc, au niveau national, c'est ça l’objectif, ce qui se suppose évidemment — et là aussi, je ne veux laisser aucune ambiguïté sur le sujet — s'appuyer sur toutes les sources d'énergie décarbonée.
Enfin, vous avez affaire à quelqu'un qui a le mérite de la franchise, je n’ai jamais caché mon soutien au nucléaire. Jamais. Donc voilà, vous savez à qui vous avez à faire, vous pouvez être d'accord, pas d'accord, mais au moins il n'y a pas d'ambiguïté. J'ai toujours soutenu l'énergie nucléaire. Tout le monde le sait. Donc, on ne va pas revenir là-dessus. Ça fait partie de toute façon du mix énergétique. Est-ce que pour autant, je suis hostile aux énergies renouvelables ? Évidemment que non. Je suis totalement convaincu que c'est complémentaire et qu'il faut les deux. Et je suis aussi totalement convaincu que le défi de déploiement des éoliennes, qui est un défi industriel et un défi social, parce que quand on regarde aujourd'hui la répartition des éoliennes, on est bien obligé de voir que plus d'un tiers des capacités d'éoliennes terrestres sont concentrées dans un quart Nord-Est. On est obligé de tenir compte des habitants. Moi, je suis un responsable politique, j'écoute ce que me disent les habitants, ils disent : pourquoi tout est chez nous ? Pourquoi est-ce qu’il n’y en a pas un peu plus ailleurs ? C’est assez normal qu'on se pose cette question. Et pour autant, je suis tout à fait lucide sur le fait qu'il faut continuer à développer de l'éolien terrestre et dans des conditions qui soient acceptables par nos concitoyens, par les habitants, par les gens.
Il faut développer des champs éoliens offshore. Mais le défi est là aussi vertigineux techniquement, scientifiquement. L'éolien offshore sur du dur, c’est déjà compliqué, l’éolien offshore flottant le sera encore plus, j'adore ce défi industriel. J'ai commencé à regarder, discuter avec les industriels. Croyez-moi, on n'est pas à la fin de nos difficultés techniques, ni à la fin de nos difficultés financières. L'hydraulique, je considère que c'est une ressource considérable qui peut encore être mieux utilisée. Regardons ensemble comment on peut mieux l'utiliser. Tout le monde sait ici, vous êtes tous des spécialistes, que là, pour le coup, le défi est probablement moins technique que juridique. Je ne ménagerai pas mes efforts pour négocier avec la Commission européenne parce que chacun sait que le sujet de l'hydraulique, c'est d'abord un sujet juridique avec la Commission européenne. Donc, c'est plutôt cohérent et je pense que ce sera plutôt efficace.
Enfin, je crois à la sobriété. Venez à Bercy vous pourrez tester. Le col roulé n’est pas uniquement pour faire joli. Je crois aussi évidemment à l'efficacité et je suis convaincu qu'on peut faire mieux en matière d'efficacité. Sur les économies d’énergie grâce à la sobriété et l’efficacité, je serai aussi résolument engagé. Donc, ce sujet industriel, il est national, il est aussi européen. Et là encore, je ne veux pas insister sur le fait que c'est un atout d'avoir l'énergie à Bercy, mais ça ne sert à rien d'engager ces travaux de décarbonation, dont le coût, je vais vous dire ma conviction, il sera beaucoup plus élevé financièrement que ce que nous pensons et il aura un impact économique sur nos économies beaucoup plus significatif que ce que nous pensons. Et il faut y préparer nos populations. Mais ça ne vaut le coup et ça n'a de sens de s'engager dans la décarbonation d'ArcelorMittal que si l'acier qui serait produit en Turquie, en Inde ou en Chine est taxé à l'entrée s’il n’est pas décarboné. Ça ne vaut le coup de s'engager sur les véhicules électriques produits en France qui est un de mes grands combats. Je rappelle que nous avons créé 4 Giga Factory de batteries électriques, que si les aides sont réservées, je n'hésite pas à le dire, à des véhicules électriques qui respectent les normes environnementales les plus strictes. C'est moi qui l'ai proposé au président de la République, au Premier ministre et on l’a fait. Je pense que c’est une bonne illustration de ma détermination à me battre pour le climat dans des conditions économiques et financières qui soient soutenables pour nos économies. Parce que vous ne pouvez pas demander des surcoûts de 20 à 30 % à nos industriels et laisser l'accès libre au marché, à la Chine, aux États-Unis qui ne respecteraient pas les mêmes règles. Ça ne marchera pas. Donc c'est aussi un combat européen et un des grands combats que je veux livrer, c'est le combat pour le contenu européen. Je considère que, notamment sur l'éolien, mais aussi sur les véhicules électriques, mais aussi sur les panneaux solaires, si on n'exige pas dans les appels d'offres ou dans les marchés publics une part de contenu européen minimal, ce ne sera pas soutenable économiquement et en matière de souveraineté.
Deuxième défi, il est financier. Je ne reviens pas dessus, mais il faudra qu'on y réfléchisse tous ensemble. Nous ne souhaitons pas, avec le président de la République et le Premier ministre, augmenter les impôts. Je pense que nous pouvons mobiliser davantage l'épargne privée. Je pense que nous pouvons mobiliser davantage l'union des marchés de capitaux que nous souhaitons mettre en place. Nous avons fait des investissements majeurs avec le budget 2024 et ces budgets pour la décarbonation et pour la transition climatique. Il faut quand même qu'on se pose la question du coût supplémentaire que cela pourrait avoir d'ici quelques années et comment est-ce que nous faisons ?
Enfin, troisième sujet, sans doute celui qui a soulevé le plus d'inquiétude et je suis là vraiment pour vous rassurer, pour vous témoigner de mon engagement total pour le climat et vous expliciter la clarté de ma stratégie. Est-ce qu’il faut une planification énergétique et climatique ? Oui. Et je ne dis pas ça uniquement parce que c’est une obligation légale, je dis ça parce que j’y crois et que je pense que sur des investissements aussi importants, y aller au petit bonheur la chance, c'est dangereux. Simplement cette planification, là aussi, je vous donne des convictions très fortes de ma part, elle ne se fait pas uniquement en chambre, et elle ne se fait même pas dans le cadre de ce conseil. Ça ne suffit pas. Et elle ne se fait certainement pas dans la précipitation. Un texte de loi qui arriverait dans 3 semaines, passé au Conseil des ministres dans 15 jours, dans lequel il y aurait de la planification écologique et du climat, alors même qu'il y a un nouveau ministre de l'Énergie, qu’il y a un nouveau Gouvernement et que les discussions n'ont pas été jusqu'au bout, je trouve ça irresponsable. Donc, la décision que nous avons prise de retirer ce volet de la loi énergie, je l'assume, je le revendique ; je le revendique au nom du temps nécessaire pour dialoguer, je le revendique au nom de la décentralisation, pour consulter les élus locaux et consulter des gens sur cette planification qui les regarde directement, et je le revendique au nom de l'efficacité, parce que nous avons besoin de poursuivre le dialogue. Est-ce qu'il y aura une planification ? Oui. Est-ce qu'il faut prendre du temps pour en discuter avec les citoyens et avec les élus locaux et les territoires ? Oui aussi. Est-ce qu'il faut prendre du temps pour en discuter ensemble ? Oui aussi. Donc, c'est pour ces 3 raisons que nous allons prendre un peu plus de temps sur la planification. Mais je le redis, il y aura une planification, il n'y a pas de doute. Simplement, il faut qu'elle soit solide. C'est des sujets qui sont extrêmement complexes et donc qui sont des sujets de débats absolument formidables. Il faut que le débat ait lieu. Et le débat, il doit avoir lieu avec les citoyens, avec vous qui êtes l'instance légitime pour le faire, avec les élus locaux, avec les scientifiques, pour qu’on soit sûrs que notre planification, elle est solide, elle est financée et elle est bonne pour le climat.
Merci à tous.
Seul le prononcé fait foi
Source : Communiqué Ministère de la Transition Ecologique
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